Histoire
Connaître le passé pour anticiper l’avenir

Le 29 avril 1997 fait date dans l’histoire : c’est en effet le jour de l’entrée en vigueur de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques – le premier accord de désarmement multilatéral au monde à prévoir l’élimination de toute une catégorie d’armes de destruction massive selon un échéancier précis. 

Cette entrée en vigueur marque l’apogée de longues années de négociations laborieuses menées dans le cadre de la Conférence du désarmement puis de la Commission préparatoire ; elle correspond également à la création d’un régime international de désarmement chimique sous les auspices de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).

L’Organisation œuvre à la réalisation du mandat de la Convention : faire cesser la mise au point, la fabrication, le stockage, le transfert et l’emploi d’armes chimiques, empêcher leur réapparition, s’assurer de l’élimination des stocks existants de ces armes et, ce faisant, libérer le monde de la menace des guerres chimiques.

La Commission préparatoire

Pour les États signataires réunis à Paris en 1993, il était clair qu’il y avait encore beaucoup à faire avant qu’il ne soit possible de créer une organisation internationale capable d’appliquer la Convention. Fort heureusement, la Convention prévoyait qu’elle n’entrerait en vigueur que deux ans au moins après son ouverture à la signature – et uniquement 180 jours après le dépôt du 65e instrument de ratification. Il restait donc du temps pour les préparatifs en vue de cette entrée en vigueur. Dans la Résolution dite de Paris, les États signataires décidèrent de constituer une Commission préparatoire chargée de mettre en place tous les préparatifs requis pour la première Conférence des États parties et de continuer d’œuvrer à résoudre les questions non réglées par ceux qui avaient négocié la Convention. La Commission préparatoire tint sa première session plénière à La Haye en février 1993 et instaura un Secrétariat technique provisoire.

La Commission préparatoire de l’OIAC au début du décompte (1996)

L’élément déclencheur

Lorsque la Hongrie déposa le 65e instrument de ratification, elle déclencha le décompte de 180 jours qui précédait l’entrée en vigueur de la Convention. 

Avant le 31 octobre 1996, date à laquelle la Hongrie devint le 65e État à ratifier la Convention, la date d’entrée en vigueur n’était même pas fixée. Comme prévu par la Convention elle-même, celle-ci entra en vigueur 180 jours plus tard, le 29 avril 1997. Durant les quatre années précédentes, la Commission préparatoire s’était réunie 16 fois, jetant ainsi les bases de la future Organisation.

La Commission préparatoire a réussi à mener à bien une partie des tâches relevant de son mandat, dont les résultats sont consignés dans son rapport final. Au nombre de ses principaux résultats figurent les solutions apportées à plusieurs questions de fond concernant la vérification, la création du Laboratoire et Magasin de matériel de l’OIAC, l’élaboration d’un modèle de formation pour les inspecteurs et le recrutement d’inspecteurs stagiaires, les arrangements ayant trait aux bâtiments devant accueillir le siège de l’OIAC, et la rédaction de plusieurs projets de documents, dont l’accord de siège, le règlement financier et le règlement du personnel, la politique et le règlement relatifs à la santé et à la sécurité, la politique de confidentialité et la politique relative aux médias et aux affaires publiques. La Commission préparatoire fut également chargée de transférer ses biens, ses fonctions et ses recommandations à l’OIAC.

Efforts déployés par le passé pour débarrasser le monde des armes chimiques

S’il est vrai que les produits chimiques sont utilisés comme armes de guerre depuis des millénaires (flèches empoisonnées, fumées d’arsenic et autres fumées toxiques, etc.), il est vrai également que leur emploi est stigmatisé depuis longtemps comme étant inutilement cruel et déloyal, et inacceptable dans une guerre « civilisée ». De ce fait, les efforts déployés au plan international pour interdire les armes chimiques occupèrent une place d’honneur dans beaucoup des premiers accords de désarmement

Le premier accord international limitant le recours aux armes chimiques remonte à 1675, date à laquelle la France et l’Allemagne signèrent à Strasbourg un accord interdisant les balles empoisonnées. Quelque 200 ans plus tard, en 1874, ce fut la Déclaration de Bruxelles sur les lois et coutumes de la guerre, qui interdisait l’emploi de poisons ou d’armes empoisonnées, ainsi que le recours aux armes, projectiles ou matériel susceptibles de causer d’inutiles souffrances. Ce traité n’est cependant jamais entré en vigueur.

Un troisième accord intervint avant la fin du dix-neuvième siècle. En effet, les efforts en vue du désarmement chimique déployés tout au long du vingtième siècle s’appuyaient sur la Conférence de la Paix organisée à La Haye en 1899. Les parties contractantes à la Convention de La Haye de 1899 déclarèrent « [s’interdire] l’emploi de projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ». Une autre Convention signée à La Haye en 1907 réitéra les interdictions précédentes d’employer du poison ou des armes empoisonnées.

Malgré ces mesures, le monde assista à un recours aux armes chimiques d’une ampleur sans précédent pendant la Première Guerre mondiale. La première attaque à l’arme chimique se produisit à Ypres, en Belgique, le 22 avril 1915. À la fin de la guerre, quelque 124 200 tonnes de chlore, de gaz moutarde et d’autres agents chimiques avaient été déversées et, parce qu’ils y avaient été exposés, plus de 90 000 soldats avaient connu une mort particulièrement douloureuse. Ils furent près d’un million à quitter le champ de bataille aveugles, défigurés ou atteints d’autres blessures invalidantes.

British soldiers blinded by exposure to mustard gas, 1918

Des soldats britanniques aveuglés après une exposition au gaz moutarde (1918)

Les horreurs de la guerre chimique semèrent le désespoir parmi la population et encouragèrent la conduite de négociations autour de divers instruments susceptibles d’empêcher toute résurgence de ce type de conflit. Le plus important de ces accords fut le Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, plus connu sous le nom de Protocole de Genève de 1925. Ce protocole n’interdisait toutefois ni la mise au point, ni la fabrication, ni la possession d’armes chimiques. Il se contentait d’interdire l’emploi d’armes chimiques et bactériologiques (biologiques) en contexte de guerre. Qui plus est, un grand nombre de pays signèrent le protocole en l’assortissant de réserves leur laissant la possibilité d’utiliser des armements chimiques contre un pays qui n’aurait pas adhéré au Protocole, ou de riposter à l’identique en cas d’agression à l’arme chimique. Au cours des années qui suivirent l’entrée en vigueur du Protocole de Genève, certains de ces États parties retirèrent les réserves qu’ils avaient émises, acceptant l’interdiction absolue de recourir aux armes chimiques et biologiques.

Durant la première moitié du XXe siècle, de nombreux pays développés consacrèrent des moyens considérables à la mise au point d’armes chimiques. Plusieurs pays y recoururent dans les années 1920 et 1930, et la découverte de puissants gaz neurotoxiques à la fin des années 1930 suscita un regain d’intérêt pour cette question. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les principales puissances belligérantes étaient convaincues que des armes chimiques seraient déployées à grande échelle, mais ce ne fut pas le cas en Europe, pour des raisons qui n’ont pas encore été unanimement identifiées par les historiens. Pendant la guerre froide, les États-Unis et l’Union soviétique stockèrent des dizaines de milliers de tonnes d’armes chimiques.

Négociations de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques

Éclipsées par les craintes d’une guerre nucléaire pendant toute la période suivant la Deuxième Guerre mondiale, les armes chimiques furent reléguées au second plan jusqu’en 1968, date à laquelle la Conférence du désarmement à Genève commença à se pencher sur la question des armes chimiques et biologiques. Les traités nés de ces discussions suivirent divers chemins. La Convention sur les armes biologiques fut conclue assez rapidement. Ouverte à la signature en 1972, elle n’est cependant assortie d’aucune mesure de vérification. Point important pour les démarches visant à interdire les armes chimiques, la Convention sur les armes biologiques obligeait les États parties à poursuivre leurs négociations sur les armes chimiques, dans l’optique de mesures imposant leur destruction et l’interdiction de leur mise au point, fabrication et stockage.

Les négociations en vue de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques furent bien plus longues, progressant par à-coups, en fonction des développements politiques ou autres. En 1980, la Conférence du désarmement constitua un groupe de travail ad hoc sur les armes chimiques. Quatre ans plus tard, le groupe fut chargé d’étudier la question de ce que couvrirait une interdiction des armes chimiques. C’est ainsi que naquit le « texte évolutif » de la Convention, texte provisoire révisé d’année en année. Plusieurs facteurs donnèrent un nouvel élan aux négociations relatives à la Convention : l’amélioration des relations entre les superpuissances vers la fin des années 1980, l’attaque aux armes chimiques à Halabja (Iraq) en 1988, la menace clairement annoncée d’une guerre chimique pendant la guerre du Golfe ou encore l’annonce d’un accord bilatéral entre les États-Unis et l’Union soviétique, qui s’engageaient à détruire la plupart de leurs stocks d’armes chimiques et à s’abstenir d’en fabriquer d’autres.

Malgré ces progrès, des difficultés persistaient. Certains pays tenaient en effet à ce que le désarmement chimique soit lié à la question du désarmement nucléaire. D’autres voulaient des dispositions relatives à la protection contre les attaques aux armes chimiques. L’aide que la Convention pourrait apporter au libre échange de produits chimiques et au progrès économique et technique qui en résulterait intéressait de nombreux États, tandis que d’autres s’inquiétaient de l’intrusion que pourrait entraîner le régime de vérification prévu, et plus encore les inspections par mise en demeure. Très tard dans les négociations, les États-Unis insistaient encore pour préserver le droit de riposter à l’identique en cas d’agression aux armes chimiques. L’un après l’autre, les obstacles disparurent et les questions en suspens furent résolues.

Signature de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques à Paris

En 1992, un projet de Convention fut officiellement adopté par la Conférence du désarmement. L’Assemblée générale des Nations Unies demanda que son Secrétaire général, dépositaire de la Convention, l’ouvre à la signature à Paris le 13 janvier 1993. Dans un mouvement d’unité rare pour un traité international de maîtrise des armements, 130 pays signèrent la Convention sur l’interdiction des armes chimiques pendant la conférence de signature à Paris, qui dura trois jours.

L’OIAC

Comme le prévoit la Convention, l’OIAC se compose de trois organes principaux : la Conférence des États parties, le Conseil exécutif et le Secrétariat technique. Dès leur constitution, ces trois organes durent s’atteler à un programme de travail imposant.

La Conférence des États parties, qui est composée de représentants de tous les États parties à la Convention, tint sa première session à partir du 6 mai 1997 – une semaine après l’entrée en vigueur de la Convention.

CSP 1

CSP-1

La première Conférence des États parties s’est réunie le 6 mai 1997.

La Conférence se pencha tout de suite sur les questions dont la chargeait la Convention, sur diverses recommandations de la Commission préparatoire et sur certains points encore en suspens. Elle élut également les membres du Conseil exécutif et nomma José Mauricio Bustani, du Brésil, premier Directeur général de l’OIAC. Furent également choisis les membres de l’un des organes subsidiaires de l’Organisation : la Commission de la confidentialité. Les recommandations de la Commission préparatoire furent suivies dans bon nombre d’autres décisions de la Conférence. Il fut décidé que les questions restées en suspens seraient renvoyées devant le Comité plénier (composé lui aussi de représentants de tous les États parties). Poursuivant ses travaux à sa deuxième session, en décembre 1997, la Conférence chargea le Directeur général de créer un Comité scientifique consultatif, examina les demandes de conversion d’installations de fabrication d’armes chimiques et prit plusieurs autres décisions.

Dans l’intervalle, le Conseil exécutif et le Secrétariat technique avaient commencé à s’acquitter de leurs fonctions respectives. En 1997, le Conseil exécutif tint sept sessions, durant lesquelles il examina et approuva des arrangements transitionnels concernant la vérification des installations de destruction d’armes chimiques et des accords d’installation pour les usines fabriquant des produits chimiques inscrits au tableau 1 susceptibles d’être utilisés comme armes chimiques.

Le Secrétariat technique s’attacha à traiter les déclarations initiales des États parties et à conduire des inspections. Par la force des choses, les premières inspections furent menées principalement dans des installations d’armes chimiques, car nombre d’entre elles devaient être inspectées selon un calendrier précis pour satisfaire aux conditions prévues par la Convention. Pour détruire les armes chimiques, il fallait également procéder à des inspections sur place. Très vite, les inspections se comptèrent par milliers – une efficacité qui a forgé la réputation de professionnalisme et d’impartialité de l’Organisation.

C’est ainsi que le régime de vérification de la Convention a vu le jour. Les déclarations relatives aux armes chimiques et à la fabrication de produits chimiques à double usage permettent d’obtenir des données de référence que l’Organisation confirme par la suite. Les inspections menées dans les installations en rapport avec des armes chimiques et dans les installations industrielles sont le principal moyen de vérifier la teneur des déclarations. Les données provenant des déclarations et des inspections sont communiquées aux États parties dans le respect des dispositions de la Convention relatives à la confidentialité, ce qui renforce la transparence, mais aussi la confiance en l’efficacité du régime.

En bref, l’OIAC est apparue comme un nouveau type d’organisation internationale basée sur un traité à laquelle sont confiées des responsabilités en matière de désarmement et de non-prolifération, entre autres, et qui est dotée des mécanismes impartiaux requis pour assurer le respect de la Convention et redresser toute situation contrevenant aux dispositions de la Convention. En 2013, en reconnaissance de ses efforts soutenus en faveur de l’élimination des armes chimiques, l’OIAC s’est vu décerner le prix Nobel de la paix. En 2017, elle a fêté son 20e anniversaire.